Conférence "Robert Hainard, un artiste au cœur de l'Europe sauvage"

ROBERT HAINARD, UN ARTISTE A TRAVERS L’EUROPE SAUVAGE



Brièvement

 


Cette conférence est l'un des fruits de mon travail biographique qui a donné naissance à l'article "Le paradis des grandes chasses pyrénéennes de Robert Hainard" (Le Casseur d'os, 2001), au récit Le Cercle rouge, Voyages naturalistes de Robert Hainard dans les Pyrénées (éditions Hesse, 2002), puis à la biographie Robert Hainard, Chasseur au crayon (éditions Hesse - Fondation Hainard, 2006).

D’abord conçue chronologiquement, en suivant la trame de la biographie, elle a été remaniée en brisant pour partie la marche du temps. C’est ainsi qu’au travers de grandes figures essentielles chez Robert Hainard – l’ours, le loup, le blaireau, le bison, le gypaète entre autres, j’aborde toutes les facettes de l’œuvre de l’artiste, du naturaliste et du philosophe qu’était Robert Hainard.

 


Mais qui était Robert Hainard ?


Qui était cet artiste au trait cousin de celui des Paléolithiques de Lascaux, d’Altamira ou du Pont-d’Arc ? Sait-on combien son observation et son contact permanent avec la nature ont nourri une pensée des plus visionnaires et des plus fécondes ? Qui était Robert Hainard ?


Il y a cent ans, à Genève, le 11 septembre 1906, chez un couple de peintres influencés par l’impressionnisme et les idées libertaires, naissait Robert Hainard, un enfant de la ville aux origines jurassiennes, qui allait révolutionner en Europe notre rapport avec la nature sauvage.


Le sauvage ? C’est le renard et le blaireau qui sortent à la nuit des entrailles de la terre, l’aigle ou l’hirondelle qui jouent dans le vent, le fleuve qui coule libre, la forêt altière, immense, vierge, sans trace du forestier; la nature sauvage, c’est tout ce que nous ne contrôlons pas, qui vit malgré nous, c’est l’autre le plus absolu à nos côtés, le plus irréductible, celle que nous nous échinons à maîtriser, à détruire mais celle dont nous avons le plus grand besoin, autant d’un point de vue physique que psychique.

Robert Hainard s’en est allé à l’aube du nouveau siècle, à la fin de cette année 1999 agitée par une tempête mémorable. Il nous a laissé riche d’un grand héritage forgé par une vie de travail et de réflexions très avant-gardistes pour affronter les temps à venir en redonnant une véritable place à la nature sauvage.

 
Plus en détail


R
obert qui a naturellement appris à dessiner et à modeler (comme on apprend à parler ou marcher), s’est inscrit aux Beaux-Arts et aux Arts industriels où enseigne son père, Philippe, qui a formé son fils après l’avoir sorti prématurément de l’école, ce « Moloch niveleur » d’enfants. Comme ces jeunes filles qui posent ennuient vite le jeune artiste, depuis peu irrésistiblement attiré, et non moins mystérieusement (personne dans la famille et les proches ne s’y intéresse), par les bêtes sauvages, il s’en va quêter d’abord les oiseaux du Léman puis les mammifères, découverts dans les montagnes du Valais et celles du Jura. Le soir, de sa chambre, Robert rêve de sangliers, de blaireaux éclairés par la lune qui le fascine.
Robert le sculpteur, devenu aussi graveur sur bois par attirance pour l’estampe japonaise, s’est uni un jour de mai 1929 avec une Valaisanne racée, artiste tout comme lui, Germaine Roten, qu’il avait repérée le premier jour de son arrivée au cours de figure.

Mais à peine marié, Robert a déjà une maîtresse : la lune, fréquentée lorsqu’elle est pleine, la lune qui offre de subtiles lumières pour le chasseur au crayon couché à même le sol dans son duvet ou perché dans un arbre. Chasseur ? Oui, car Robert sent puissamment en lui un instinct de chasse, de capture qu’il transpose dans l’art, au moyen de ses seuls crayons et outils.

 

Immédiatement, ses œuvres rencontrent le succès auprès du public, on évoque le Français Pompon, rendu célèbre pas sa sculpture d’ours blanc, mais aussi les artistes d’Altamira qui peignaient des bisons au plafond de leur grotte il y a 14 000 ans.  Habité du désir ardent de reconstituer le grand bestiaire européen, Robert le casanier sait qu’il devra voyager, et loin. La Suisse a presque éradiqué toute sa grande faune sauvage, les loutres qu’il piste avec son ami Maurice Blanchet au bord du Rhône par de glaciales nuits d’hiver, disparaissent, le gypaète est quasiment éteint dans les Alpes, le moindre loup est pourchassé sans répit. Les voyages exploratoires s’enchaînent, en France d’abord, sous la conduite du Suisse Olivier Meylan, un paysan-ornithologue hors du commun, en Maurienne, en Bourgogne, sur les plateaux cévenols, sur les îles de Riou et de Port Cros, en Corse, toujours à pied, à la recherche des ultimes vautours, d’un hibou grand-duc pas encore persécuté, qui sait d’un chat sauvage ou d’un gypaète.

 

Et Robert rêve d’ours ! La venue du roi Boris III de Bulgarie à Genève lui ouvre les portes d’un monde fabuleux au printemps de 1938 avant que la guerre, toute proche, ne réduise ses projets à néant. La rencontre avec l’exceptionnel souverain bulgare, sa rupture avec le progressisme de son père, ses propres observations du monde le conduisent à publier en plein conflit mondial un essai parfaitement visionnaire, Et la nature ? La paix revenue, et jusqu’à la fin de sa vie, Robert reprend ses voyages (« Je voyage dans le temps beaucoup plus que dans l’espace » dit-il avec raison), souvent seul, en famille ou avec son indéfectible ami Jacques Burnier (photo ci-contre) ou encore des amis suisses et français. En Tchécoslovaquie, il voit le loup face au cerf, il séjourne chez les Lapons nomades, il piste les gypaètes dans les Pyrénées. Invités par des proches de Tito, il sillonne toutes les républiques yougoslaves, à l’affût des ours, des loups et des lynx. Il se rend en Andalousie aux confins du Guadalquivir, au pays des bisons polonais, dans les Alpilles, au cœur des forêts bourguignonnes truffées de sangliers, en Angleterre, en Ecosse, en Grèce ou encore en Espagne du nord-ouest. Mais c’est en Suisse, grâce à son ami l’artiste Jacques Rime, et sous les auspices de Dersou Ouzala, qu’il verra enfin, au terme d’une quête de cinquante ans, son premier lynx boréal.

 

Au terme de soixante ans de chasse au crayon à travers l’Europe sauvage, Robert Hainard, artiste complet, a tout dessiné, de l’escargot au nuage, de l’homme à l’ours (« Le mammifère que j’ai le plus dessiné, c’est encore l’homme », en l’occurrence, sa femme Germaine) et laisse une œuvre immense : des dizaines de milliers de croquis et d’aquarelles, près de mille gravures, des centaines de sculptures de toutes dimensions, en bois, en plâtre, en pierre et en bronze, des céramiques, de nombreux livres d’art, des récits, quatre essais philosophiques et des centaines d’articles parus dans les presses les plus diverses.

 

Robert Hainard est un homme très ancien et très nouveau. A chacun de s’emparer de celui qui se considérait comme un « instrument » au service de la réconciliation de l’homme et de la nature.


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Crédits : gravures et croquis : Fondation Hainard ; clichés : Famille Burnier, Stéphan Carbonnaux, Jean-Rémy Berthoud, Michel Strobino.

Stéphan Carbonnaux

 
Autres conférences disponibles :
–"Le besoin du sauvage dans  nos sociétés modernes"
–"Le difficile retour de l'ours en France"

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