« L'instinct maternel est divinement animal. La mère n'est plus femme, elle est femelle. » Victor Hugo
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Nous avons eu la grâce, Stéphan et moi, d'assister à un spectacle fascinant et merveilleux. Le week-end passé, nous avons décidé de reprendre le fil de nos pérégrinations, cheminant au hasard de-ci delà, pour découvrir de façon impromptue ce que nos belles montagnes recèlent de trésors cachés et pour les laisser nous apporter un peu de leur énergie vive. Nous n'aurions pu imaginer ce que le crépuscule allait nous offrir.
Un peu plus tôt, Stéphan me faisait cadeau d'une petite figurine représentant maître Goupil que j'aime beaucoup alors qu'il hésitait avec un Przewalski, lui qui connait mon grand attachement à la gent équine. Ce geste annonçait, sans que nous le sachions, ce qui nous attendait quelques heures plus tard.
Nous souhaitions faire une petite halte et hésitâmes entre deux lieux. C'est encore une fois Stéphan, heureusement guidé, qui décida de notre destination. Nous nous apprêtions à lever le camp lorsque nous avons entendu conter une histoire qui a suscité toute notre attention, et pour cause ! La maîtresse de l'échoppe se préparait à s'adonner à son activité quotidienne : aller nourrir une joyeuse bande de renards ! C'est après une période de disette qu'elle a pris ces animaux en pitié, alors qu'elle les voyait rôder ici et là, affamés, en quête de quelque nourriture. Puisque tous les chats de passage trouvent ici la pitance dont ils ont besoin, pourquoi en aurait-il été autrement pour les renards ? Et c'est ainsi que l'apprivoisement réciproque a commencé. Les animaux ont appris qu'ils pouvaient faire confiance à cet humain là, une fois n'est pas coutume, et cet humain là s'est aussi très vite attaché à ses nouveaux protégés. Aujourd'hui, ils approchent toujours davantage de la main tendue même si la crainte ne les a pas encore tout à fait quittés. N'empêche, quand leur bienfaitrice les appelle tendrement, ponctuant chacune de ses phrases par des mots d’amour, ils accourent joyeusement et se querellent pour avoir leur part. On nous a même raconté qu'il est courant, dans l'intimité, que Madame soit suivie de son cortège de ... renards !
Alors, on se met à rêver d'un monde où l'humanité aurait été moins impitoyable avec tous ces peuples du dehors et avec elle-même, d'un monde où les liens qu'elle aurait nourris avec la nature n'auraient pas été basés sur un rapport dont la réciprocité n'existe pas, que la relation homme-nature n'aurait pas été fondée par des desseins quasi exclusivement utilitaristes et anthropocentristes, un monde où l'équilibre n'aurait pas été rompu et où toute espèce aurait pu garder la place qui lui revient. Dans cette réalité là, les renards seraient au bout du chemin, les rencontres avec sangliers, chevreuils, blaireaux et que sais-je encore seraient chose aisée, les affûts aux ours et loups un jeu d'enfant. Nos pays seraient pleins de ce sauvage garant d'un équilibre préservé, pleins de sylves riches et pleines, pleins de cette juste liberté qui adoucit les mœurs et préserve les âmes. Allez, rêvons un peu ...
Nous tairons à tous le lieu de cet îlot fantastique car les animaux commencent déjà à être dérangés par des visites toujours plus nombreuses. Nous espérons vivement que les raisons de notre silence seront comprises. Que ces petites perles là soient préservées ! Nous avons, de ce fait, longtemps hésité à mettre cette vidéo sur notre blog, craignant que les amis, à qui il nous faudrait refuser de divulguer l’endroit, n’en soient outragés. Mais l'illustration de ce que pourrait être notre rapport au sauvage était trop belle et trop riche d'enseignements pour que nous la gardions pour nous. Et puis nous pouvons aussi créer de beaux moments de partage au travers des récits et des images de ces instants magiques !
Marie
« C'est alors qu'apparut le renard :
"Bonjour, dit le renard.
- Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
- Je suis là, dit la voix, sous le pommier ...
- Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli ...
- Je suis le renard, dit le renard.
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste ...
- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard, je ne suis pas apprivoisé.
- Ah ! pardon ", fit le petit prince.
Mais après réflexion, il ajouta :
"Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?
- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est ce que signifie "apprivoiser" ?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. ça signifie "créer des liens ..."
- Créer des liens ?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde ...
- Je commence à comprendre,dit le petit prince. Il y a une fleur ... je crois qu'elle m'a apprivoisé ...
- C'est possible, dit le renard. On voit sur la Terre toute sorte de choses ...
- Oh ce n'est pas sur la Terre", dit le petit prince.
Le renard parut très intrigué :
"Sur une autre planète ?
- Oui.
- Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?
- Non.
- Ça, c'est intéressant ! Et des poules ?
- Non.
-Rien est parfait", soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
"Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensolleillée. Je connaîtrais un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me feront rentrés sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as les cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé ...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
"S'il te plaît ... apprivoise-moi ! dit-il.
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que ce qu'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
-Que faut-il faire ? dit le petit prince.
-Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais un jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près ..."
Le lendemain revint le petit prince.
"Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai : je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur ... Il faut des rites.
-Qu'est-ce qu'un rite ? dit le petit prince.
- C'est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est un jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances."
Ainsi, le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche :
"Ah ! dit le renard ... Je pleurerai.
- C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise ...
- Bien sûr, dit le renard.
- Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
- Bien sûr, dit le renard.
- Alors tu n'y gagnes rien !
- J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé."
Puis il ajouta :
- Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret."
(...)
Et il revint vers le renard :
"Adieu, dit-il ...
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.»
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 1943.
Aquarelle du Petit Prince et du renard : Antoine de Saint-Exupéry
Gravure : Robert Hainard
Pour Barbara, cliquer ici